4.
Pour ne pas blesser Sage
Bouleversée par la réaction de son petit prince préféré, Kira déambula sur les nombreux étages du palais en contemplant le sol, avant de se décider à rentrer dans ses appartements. Elle aimait Lassa depuis le premier jour où elle l’avait bercé dans son ancienne chambre du palais. Elle s’était même fait un devoir de le visiter à chacun de ses retours au Château d’Émeraude. Pourtant, sa peau mauve n’avait jamais indisposé l’enfant. Elle aurait dû se douter que son appartenance à l’empire causerait un grand choc à Lassa, car c’était ce monde qu’il devrait détruire pour accomplir son destin.
Elle entra chez elle en silence et jeta un coup d’œil dans son salon privé. Il était tard, mais Sage ne dormait pas encore. Il était assis par terre près de l’âtre. Des flammes bienfaisantes donnaient à ses yeux opalins des reflets spectraux. Tout comme elle, il était un hybride, mais avec la peau blanche. Elle s’agenouilla derrière lui et passa ses bras autour de son torse.
— Ce n’est pas raisonnable de garder un petit garçon debout jusqu’à une heure pareille, lui reprocha Sage.
— Mais je l’ai quitté il y a longtemps. J’ai erré dans le palais comme un vieux fantôme.
Il pivota vers elle, la forçant à relâcher son emprise et à reculer un peu. Il était mignon lorsqu’il s’inquiétait ainsi, mais elle ne voulait pour rien au monde lui causer du chagrin. Puisque du sang d’insecte coulait aussi dans ses veines, il n’était pas question de lui parler du comportement de Lassa.
— Dis-moi ce qui ne va pas.
— Je crois que j’en ai tout simplement assez de cette inactivité, expliqua-t-elle, ce qui n’était pas tout à fait un mensonge.
— Mais nous ne sommes rentrés au palais que depuis une semaine !
— Il pleut sans arrêt et nous ne pouvons pas nous promener à cheval ni nous entraîner ni…
— Mais nous pouvons nous reposer, la coupa-t-il, parce que nous aurons bientôt d’autres horribles créatures à affronter.
Il avait évidemment raison.
— Même toi tu as besoin de t’arrêter un peu, ajouta-t-il.
— Oui, c’est vrai, concéda Kira pour éviter qu’il découvre la peine qu’elle dissimulait de son mieux.
Il la fixa dans les yeux un moment afin de s’assurer qu’elle lui disait bien la vérité. Sa belle épouse mauve adoptait souvent un comportement protecteur envers lui, tout en exigeant qu’il se taille sa propre place parmi ses frères d’armes. C’était une attitude qu’il avait bien du mal à saisir.
— Il y a autre chose que nous pourrions faire, suggéra-t-elle pour chasser l’inquiétude qu’elle voyait naître en lui.
Tenté, Sage lui donna quelques baisers prometteurs, puis réussit à l’attirer jusqu’à leur grand lit chaud et mœlleux. Soudain il se mit à penser à son faucon, resté à Zénor avec Farrell. Kira lut aussitôt ses pensées et en profita pour le taquiner.
— Tu vas devoir choisir entre elle et moi ! s’écria-t-elle en feignant d’être vexée.
— Ce n’est même pas une femelle, se défendit Sage.
— Avec les yeux doux qu’elle te fait, ses petits cris amoureux et sa fâcheuse habitude de venir se coucher près de toi ?
— Kira, ce n’est qu’un oiseau.
— Qui partage ton lit !
Sage scruta l’esprit de sa femme et constata qu’elle se payait sa tête. Il la gratifia d’un sourire joyeux et se mit à la chatouiller impitoyablement jusqu’à ce qu’elle demande grâce.
— Si tu ne peux plus vivre sans ton petit animal favori, nous pourrions demander à Wellan la permission d’aller le chercher à Zénor, murmura-t-elle dans son oreille.
— Je l’ai déjà fait et il a répondu que Swan se chargerait de nous le ramener.
La visible déception de son époux fit sourire Kira. « Il est réellement attaché à ce rapace », comprit-elle.
— Je suis certaine qu’il s’est ennuyé de toi et qu’il sera heureux de te revoir, affirma la jeune femme.
Avant que Sage ne sombre dans la tristesse, Kira l’embrassa de manière à rallumer sa passion.